Il y a quelques années je me suis mise à écrire un journal romancé autour de mes rêves.
L'ensemble fait un livre, série de fragments autour du rêve.
Je suis heureuse de partager ici les premières pages.
20 Avril 2017 - En métro
L’atmosphère est suffocante à Paris ces jours-ci, l’orage menace, le ciel gris perle s’assombrit. La journée déroule lentement ses heures, mais la ville poursuit sa course. Je m’engouffre dans la station Concorde, un souffle d’air climatisé envahit les particules de l’atmosphère. Le métro, une fois n’est pas coutume, est un refuge de calme et de fraicheur.
Aller chez Ariane Figuera pourrait devenir un rituel qui commence bien avant qu’elle n’ouvre sa porte d’entrée, au quatrième étage d’un petit immeuble de la rue Darcy dans le XXe arrondissement. D’abord le métro, la longue ligne jaune qui traverse le centre de Paris d’ouest en est, la lumineuse ligne 1 et ses stations mythiques… Mes 20 ans en un trait finement dessiné sur le plan de la RATP.
Des images surgissent de ma mémoire, alors que la rame file d’une station à l’autre. À la station Louvre-Rivoli, je plonge dans le bureau protocolaire de mon maître de stage de fin d’étude, un homme d’âge mûr élégant, littéraire, entouré de jeunes femmes diplômées et volontaires prêtes à accomplir le travail qu’il ne comptait vraissemblablement pas faire. Je me souviens de l’incandescente Hélène et sa chevelure de feu qui, du haut de ses talons, intrigante et professionnelle, l’envoutait. Je me revois au milieu de ce duo fascinant, petite souris n’osant poser la moindre question tant leurs conversations, et surtout leurs silences, me subjuguaient.
Station Les Halles. Carrefour névralgique des habitants de la banlieue débarquant à Paris, ventre de la capitale et flux ininterrompu de jeunes en sweet, de femmes pressées, d’hommes hagards, de groupes d’italiens hurlants et cette jeune américaine timide, qui me demande : ‘le luv ?’ pour trouver son chemin. Un espace tentaculaire, sombre et béant qui fut pendant des années le point de départ de mes explorations de Paris, moi qui venais de la banlieue sud et qui désirais m’en échapper. Je partais pour des escapades sans projet autre que découvrir une ville qui m’était inconnue. J’errais d’un quartier à l’autre, de la rue du Jour à la Place des Vosges, de la Place de la Bastille aux bords de Seine. Je découvrais Beaubourg, sa bibliothèque bondée d’étudiants et d’adultes désœuvrés, ses collections d’art où je cheminais lentement dans des œuvres qui échappaient à mon entendement mais qui, mystérieusement, ouvraient la voie à des voyages immobiles.
Station Saint-Paul. Image du studio que je partageais avec mon amoureux, un jeune étudiant aux Arts déco qui meublait notre 25m2 d’énormes mobiliers de rue qu’il récupérait la nuit avec une fourgonnette, transformant notre nid au cœur du Marais en un atelier de fabrication d’objets monumentaux et avant-gardistes. Avec l’aide d’un ami embarqué dans ses folles virées nocturnes, il montait jusqu’à notre appartement du sixième étage d’énormes bobines de câbles utilisées dans les chantiers qu’il convertissait en table avec un vrai talent. Il construisait aussi des chaises étroites en métal mou qui les rendaient instables, le tout posé sur un parquet tellement flottant que l’ensemble flanchait, autant, pensais-je, que notre histoire.
Bastille. Le petit appartement d’angle, boulevard Voltaire, où je vivais à la fin de mes études donnait sur une cour calme et ensoleillée. Un havre de paix, petite grotte claire avec vue sur la cour carrée, blanche, d’où résonnaient des voix d’enfants le matin. Il y régnait une quiétude que j’aimais et dans laquelle je plongeais souvent, entourée de textes de théâtre que j’apprenais pour les cours que je suivais sans vraiment les retenir.
Le métro file jusqu’à la Porte de Vincennes où je m’arrête. Boulevard Mortier, l’orage n’a pas éclaté encore, il y a une tension perceptible dans les corps, fatigués, qui peinent à marcher le long des arrêts de bus.
Au téléphone, Ariane Figuera, de sa voix souveraine, m’avait conseillé de prendre le Tram T3B direction Porte de la Chapelle et de m’arrêter à la station Adrienne Bolland. En m’asseyant sur une banquette de ce tramway flambant neuf, je repère les noms des stations : Ella Fitzgerald, Rosa Parks, Colette Besson… Mais qui est cette Adrienne Bolland ? Je regarde sur mon téléphone : ‘Adrienne Armande Pauline Bolland, née le 25 novembre 1895 à Arcueil, morte le 18 mars 1975 dans le XVIe arrondissement de Paris, est une aviatrice française célèbre pour avoir été la première au monde à effectuer la traversée par avion d'une partie de la Cordillière des Andes’.
Voilà qui est de bon augure. Aller chez une analyste de rêves sous l’égide d’une femme aviatrice qui a fait l’exploit de traverser l’une des plus hautes chaines de montagne du monde en petit avion, seule, sans carte ni instrument de navigation, me réjouit. Bien que ni téméraire ni héroïque, je suis moi-même sans carte et sans boussole, avec l’intention de tracer ma route et je compte bien qu’Ariane Figuera, auréolée de la présence d’Adrienne Bolland, m’aide à piloter cette nouvelle phase de ma vie.
Le tramway monte le long du boulevard Mortier. Une ascension, le XXe arrondissement est une butte ! Je descends en même temps qu’une grande femme noire en tenue africaine aux motifs bariolés accompagnée de trois enfants, deux blancs et un noir, adorables et elle, majestueuse, avec une grâce, un port de tête fascinants.
Je longe la rue Saint-Fargeau et ses petits bacs de couleur installés par les habitants pour fleurir le quartier, tourne à gauche, arrive rue Darcy devant une façade en rénovation, de larges bâches opaques couvrent l’immeuble. Interphone, petite voix discrète, passage dans l’entrée en chantier, ascenseur, quatrième étage : je sonne, une petite femme menue, cheveux longs poivre et sel, m’ouvre la porte. Son visage s’illumine en me serrant la main, elle danse un peu sur ses talons compensés, légère et fine, du cristal cette femme, pensais-je. J’entre dans un couloir étroit qui donne sur une petite pièce assez sombre, petite grotte confortable, parfaite pour une exploration intérieure. Deux canapés sont installés face à face.
Je m’assois.
Comment allez-vous ?
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