N’importe où hors du monde pourvu qu’il y ait des marées, des ondées, des éclaircies, des nuées, de la brume, du soleil parfois, du vent et l’élan de pousser la porte de la maison, longer la baie, reflets argent sur l’océan qui se retire, loin ! Désert de quelques heures, la mer a tout son temps. Perdre ses yeux dans ce désert de lagons et de sable. Se laisser envahir. Ici les corps célestes sont de grande attraction. Pas de prise. Entrer dans ce mouvement. Puis retrouver le petit sentier de la côte. Ouvrir la porte bleue, parfum de figues dans l’allée et le vent qui chahute, se laisser emporter par l’air frais.
N’importe où hors du monde pourvu qu’il y ait un jardin, des pavots, des pivoines, des roses, des herbes sauvages, des nénuphars, des papyrus, des arums aussi, beaucoup d’arums, des figuiers en feuilles et de la rhubarbe qu’on cuit en été.
N’importe où hors du monde pourvu qu’il y ait des nuits à contempler les nuages, des déjeuners de petit matin, des matinées au lit, des soirées emmitouflées, des instants suspendus à la lune, aux astres soudain découverts dans le reflet d’une mer étale.
N’importe où au milieu de rochers noirs recouverts d’huitres, de moules, de lichen, d’algues, cartographie de granit où se côtoient des peuplades minuscules, muettes, entourées de mares d’eau salées pour quelques heures encore.
N’importe où au milieu des galets, du sable, de la roche qui creuse les pieds engourdis par l’hiver, déséquilibre, mieux vaut plonger d’un coup, la mer glaciale, les cris avant d’entrer mais si je t’assure elle est bonne ! On aventure un pied, une cheville, autour tout est indompté, anthracite ou émeraude selon l’époque, désert, une fête sauvage.
N’importe où hors du monde dans les courbures d’un coquillage, dans les écailles d’un crustacé minuscule, dans le plus petit grain de sable blanc, dans les nervures d’une algue et l’amer au loin, rocher blanc devant nos yeux éblouis.
N’importe où hors du monde devant la fenêtre, grande plage battue par le vent, les arbres chahutés, quelques feuilles affolées en reflet sur le mur lorsque tout s’éclaircit, nos regards jetés dans l’horizon soudain sombre.
L’ondoiement des vagues se déploie au bord de nos têtes, la vibration du soleil tire notre peau, creuse nos os. L’air est habité de cristal, l’herbe de fines particules translucides.
Nous sommes dans un temps béni. Nous le savons. Nous en faisons une fête, un déjeuner au soleil, un soir de grand coefficient. Nous sommes dans la suspension d’un temps, de mondes entiers lovés dans une coque oubliée par le ressac. Nous sommes dans ce mouvement, dans cette révolution astrale, dans cette lumière insensée, brûlante, folle. Nous sommes dans notre ascension.
Nous nous déployons. Nous sommes dans les circonvolutions, dans le grand espace, dans le vaste mouvement écliptique. Nous sommes confiants. Nous nous consumons. Nous le savons. Peu importe, l’éternité c’est ici, dans ce monde hors du monde, dans nos yeux, dans notre peau, dans nos os.
Sophie Razel
Juin 2021
Commande du Überg Gang festival, festival d'autrices des Hauts de France.
Merci à Nora Granovsky et à Eden Debreuil et la compagnie BVZK pour leur confiance.
Comments